Interview

 

Quelle est l’idée sous-jacente lorsque vous avez décidé de réaliser ce court-métrage qui traite de la victoire des alliés et tout spécifiquement dans la deuxième partie, des répercussions de cette victoire dans la population française concernant les Allemands restés en France ?

Il ne s'agit pas des allemands restés en France. Mais des femmes françaises accusées d'avoir couché avec les soldats allemands.

La mémoire de cet événement précis, événement parmi les très nombreux jalonnant de manière sanglante la seconde guerre mondiale, se perd, et il me semblait nécessaire après avoir vu ces images de les montrer à mon tour. Mais évidemment le film parle d'autres choses. Il interroge tout d'abord la violence dans son irruption et ses manifestations. Ensuite, il pose la question de l'inéluctabilité de cette violence comme élément régulateur ou intrinsèque du corps social. Finalement, il pose la question de la possibilité, ou plutôt de l'impossibilité, de la paix.
Le film est aussi un film féministe.

 

Pourriez-vous nous expliquer le choix du titre Eût-elle été criminelle… ? Il me semble plutôt explicite comme ça, mais vous en êtes le géniteur…

« Eût-elle été criminelle, ce châtiment moyenâgeux n'en aurait pas moins mérité le dégoût. » C'est une phrase qu'a écrite Sartre dans Combat à la Libération après avoir vu des femmes tondues à Paris. Je suis tombé sur cette phrase en faisant des recherches. Elle résonnait évidemment bien avec le film que j'étais en train de faire. Elle indique que même si ces femmes étaient criminelles, cette violence reste injustifiable, et pose en même temps la question de savoir si aimer son ennemi est criminel.

 

Quel a été votre budget pour réaliser ce court métrage ?

Rien. Mais cette question n'est pas intéressante car elle ne dit rien du film.

 

Les images que vous avez trouvées sont fascinantes. Pourriez-vous nous dire d’où elles proviennent ?

Ce sont des images provenant de fond divers : images militaires (première partie), images amateurs et images de reporters pour la seconde partie.

 

Ces images sont également de très bonne qualité, notamment dans la deuxième partie, où l’on distingue les visages facilement, avec également des gros plans. Avez-vous effectué un travail de restauration des images ? Si oui, expliquez-nous le processus ainsi que le matériel utilisé.

Ces images ne sont pourtant pas de très bonne qualité ! Comme je n'avais pas les moyens d'acheter les originaux, j'ai utilisé des images que j'avais en ma possession, mais de mauvaise qualité, provenant de dvd ou de bases de donnée vidéo sur internet. Il ne s'agit pas vraiment de restauration, mais plutôt de savoirs faire techniques. Quand on travaille souvent les images d'archives, on apprend des « trucs » permettant non pas de gagner de la qualité, mais plutôt de cacher la mauvaise qualité des images. L'un deux par exemple est de donner une forte densité aux images, cela « gomme » certains défauts.

 

Une force de ce court-métrage, la première fois qu’on le visionne, est de laisser le spectateur dans l’incertitude quant à l’identité de ces femmes humiliées devant la population. Etait-ce quelque chose de conscient quand vous l’avez réalisé, j’ai d’ailleurs remarqué que « les poules boches » sur le camion qui ne laisse plus aucun doute sur l’identité de ces femmes (s’il en persistait encore bien entendu) arrive plutôt vers la fin. Etait-ce voulu ?

Alors, là résonnent mes réponses de la question un. Pour une partie des spectateurs, ceux qui connaissent l'existence des femmes rasées, il n'y a aucun doute possible sur l'identité de ces femmes. Mais, pour vous, par exemple, qui n'avez pas appris ça à l'école et qui n'avait plus autour de vous de personnes l'ayant vécu et vous l'apprenant, (et qui n'avait pas lu Hiroshima mon amour de Duras ou vu le film de Resnais)  vous pouvez effectivement vous posez la question de qui sont ces femmes et même faire des contresens. Aussi, il ne s'agit nullement de femmes allemandes. « Les poules à boches », ça veut dire « les putes des allemands ». Mais, il y a deux choses. Premièrement, je compte sur l'intelligence des spectateurs pour aller chercher pas eux mêmes ce qu'ils n'auraient pas saisi dans le film. Et de plus, qu'il s'agisse de françaises, d'allemandes, de femmes coupables ou non, rien ne justifie cette violence, et le propos du film reste valide.

 

Eût-elle été criminelle…, comme nous avons pu le constater sur votre site Internet, a bénéficié d’une large distribution, il a été montré dans de très nombreux festivals et a également reçu de nombreuses récompenses à l’occasion de ceux-ci. Quels ont été les échos et réactions au sujet de votre film, aussi bien en France qu’à l’étranger ? On peut dire que c’est un réel succès : êtes-vous surpris, touché par la réaction positive des spectateurs et amateurs ?

Étonnement, le film a beaucoup tourné à l'étranger, ce que je pensais pas en le faisant, trouvant cette histoire très franco-française. Finalement, le film a beaucoup était vu à l'étranger, ce qui me conforte dans mon travail sur l'histoire. En sortant d'une certaine factualité historique, en bannissant le commentaire par exemple, et en étant persuader que les images contiennent leurs propres résolutions, je rend les événements historiques non pas abstraits, mais porteurs d'une certaine exemplarité. Sinon, je n'ai pas vraiment le temps d'aller en festival, j'ai donc assisté à peu de projection. En France, il y a plutôt des réactions positives, émues (exceptions faites des idiots trouvant normal ce qu'on a fait à ces femmes). Mais il y a des nuances, par exemples, certaines jeunes femmes ne trouvent pas cela si grave, mais elles ne savent pas que si aujourd'hui une femme peut avoir les cheveux courts voir ras, à l'époque ce n'était pas possible du tout, être rasée était réellement insultant. À l'étranger, en général, les spectateurs sont confrontés pour la première fois à cette histoire (sauf dans les pays européens du nord ayant vécu la même chose). Cela suscite plutôt un choc. Il est « naturellement » à noter que les femmes sont plus touchées par ce film que les hommes.

 

La distorsion de La Marseillaise sur des images de guerre accélérées jouent comme un aspirateur d’émotions, l’oppression ressentie par ce tunnel infernal d’images est-elle voulue ? Quelles procédés et matériels ont été utilisés pour cette distorsion ?

Évidemment, ce « tunnel » est voulu. Il était nécessaire de créer un fort état de tension pour sentir une certaine « libération » en même temps que le ralentissement du film au moment de la libération. Pour que l'irruption de la violence soit choquante. Il me permettait aussi de traduire cette sensation que la guerre a été vécue de loin par la majorité de français, comme une série de gros titre dont on ne comprend pas vraiment les significations. L'histoire en marche comme « bruit du monde », bruit n'empêchant pas la vie quotidienne. En ce qui concerne la fabrication de ce tunnel, ce sont des techniques de montage simples et habituelles. J'aurai du mal à les définir tellement elles font parties de mon travail de réalisateur et de monteur (c'est mon métier alimentaire).

 

La Marseillaise chantée par Mireille Mathieu a-t-elle été choisie pour le patriotisme affiché de l’interprète et son ardeur d’interprétation ? 

Pas du tout. Contre toute attente, je ne savais pas que c'était Mireille Matthieu ! C'est la seule version chantée pas une femme en solo que j'ai trouvée… (Sinon, je ne pense pas que Matthieu soit spécialement « patriote », on a en fait une icône française, ce n'est pas de sa faute !)

 

2013